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Le Kintsugi au service des Sciences Humaines et Sociales

Il y a 2 mois, j’ai cassé un shiboridashi que j’avais acquéri très récemment mais pour lequel je me suis beaucoup attaché. Son esthétique, son utilisation, mais aussi l’histoire de sa création, l’Histoire de son potier. Il m’a gentillement proposé de le remplacer à tarif réduit. Et pourtant j’ai refusé. Je l’ai fait réparer. Il s’en est suivi plusieurs semaines de contemplation et de réflexion sur la réparation Kintsugi.


Le Kintsugi est une technique de réparation japonaise de céramiques et du verre permettant de recoller les fragments (ou de combler les petits fragments manquants) avec de la laque urushi. Cette résine naturelle végétale offre une forte résistance mécanique pour la reconstitution de la céramique et une forte résistance thermique, compatible avec l’utilisation d’eau bouillante. La laque urushi fait l’objet de recherche pour son utilisation en tant que biomatériel vert en nanotechnologie par exemple (Moreno et al. 2023. ACS Macro Lett.).


La réalisation de ce type de réparation prend au minimum plusieurs semaines, ponctuées d’étapes de ponçages et séchages, et d’application de différentes couches de laques. Outre sa fonctionnalité, le Kintsugi est savoir-faire artistique ayant donné naissance à des œuvres uniques, des expositions et la conservation de céramiques réparées par des grands maîtres. L’utilisation de l’or est bien connue dans le Kintsugi, des particules d’or sont mélangées dans la dernière couche de laque.


En raison du temps, du coût de la matière première et du caractère artistique de la technique, il s’agit d’une technique onéreuse qui a également une autre signification en psychologie : la résilience.


Le Kintsugi dans la littérature scientifique moderne


Si le sens spirituel et la dimension psychologique du Kintsugi sont bien documentés en Asie et dans des écrits de psychologie, de philosophie ou d’Histoire, cette discussion est bien plus récente dans la littérature en Sciences Humaines et Sociales. Cela s’est beaucoup ressenti post-2020/2021, soit après la pandémie COVID19.


Plusieurs essais ont été rédigés par des chercheurs en sciences humaines et sociales qui se sont intéressés au statut des professionnels de la santé face à la pandémie, pendant et après. Ces publications ont plusieurs notions communes : « briser », « deuil », « recoller en un seul morceau », « reforger », « rendre plus beau qu’avant », «montrer et embrasser ses blessures ». Au moins 30% des professionnels de santé auraient été en situation de troubles du stress post-traumatiques après les premières flambées de cas. Une situation qui a également concerné la société dans sa globalité de part son caractère imprévu et l’impuissance face à la maladie. Dans une publication sur la gestion du trouble du stress post-traumatique, Tedeschi et al. ont proposé de travailler sur 5 domaines de la vie : l’appréciation de la vie, les relations avec les autres, la force personnelle,  la reconnaissance de nouvelles possibilités et le changement spirituel (Tedeschi et al. 2017). C’est un axe de développement qui se rapproche des 6R, un modèle de psychothérapie liée au trauma qui peut être appliqué aux professionnels de santé (Arielle Schwartz, 2019).


« L’esprit Kintsugi » s’inscrit dans cette gestion du trauma par la reconnaissance du traumatisme (= la céramique est cassée), le processus de réparation (= les fragments sont minutieusement préparées, examinées, resoudées, dans la durée et non une « superglue 5 minutes chrono), la restauration de la relation (= céramique et thé, réparateur et utilisateur, céramique et utilisateur, réparateur et céramique) et la contemplation (Patricia Lynn Dobkins, 2022. Can Fam Physician).


En effet, les fêlures ne sont pas cachées, elles sont soulignées par la laque (avec ou sans métaux précieux), parfaitement visibles. Une certaine beauté s’en dégage, les premiers pas dans l’utilisation sont hésitants mais en retrouvant des sensations à la dégustation dans la nouveauté et les souvenirs, la guérison du traumatisme s’opère (= une pièce chère s’est brisée, elle peut de nouveau être utilisée, sous une nouvelle forme, une nouvelle signification).


En se basant sur cette réflexion, des sondages réalisés chez les médecins se sont attardés au point critique des fêlures causées par la pandémie. La priorisation des tâches essentielles, la reconnaissance de ce qu’ils peuvent accomplir médicalement, retravailler en équipe et nouer de nouveaux liens avec des membres d’autres équipes et d’autres corps de métier comme la recherche, se remettre au cœur de la société, la reconnaissance de l’importance de la santé mentale chez les professionnels de santé et les discriminations (Patricia Lynn Dobkins, 2022. Can Fam Physician).


Un essai d’Amy Price précise un peu plus ce propos en soulignant bien l’importance du processus de deuil mais aussi une « empathie radicale ». Il s’agirait d’un processus de transformation au cours duquel nous reconnaissons et acceptons nos blessures mentales, quelles qu’elles soient. La réparation est un choix, à la fois en se pardonnant à soi-même et en faisant confiance à la communauté (Il "symbolise la vérité selon laquelle la réparation nécessite une transformation, que la pureté est moins belle que la rupture, et qu'il est impossible de voir notre forme tant qu'elle n'est pas fracturée, tant qu'une blessure, comme une fissure, ne s'étend pas sur toute sa longueur". Amy Price, 2021. BMJ).


Cette identité Kintsugi pourrait également s’appliquer à la manière de penser à la pratique clinique, notamment la manière de se réapproprier certaines techniques jugées imparfaites mais dont on reconnaît finalement la vie, comme les cas de récurrences de sténoses pulmonaires cardiaques malgré une intervention réussie (Borelli et Lo Rito, 2022).  Un processus de pensée qui pourrait également s’avérer intéressant pour la prise en charge d’épisodes de psychose puisque c’est toute l’identité de la personne qui est bouleversée (Harris et al. 2021. Early Int. In psy).

 

Attention : Cet article n’est en aucun cas un article de professionnel en psychologie. Par conséquent, en cas de suspicions ou de détections de troubles psychologiques ou d’épisodes de détresse psychologique, il est important de consulter ses professionnels de santé (médecin généraliste, psychologue, psychiatre, service d’urgence psychiatrique, etc).


Attention 2 : Cet article est avant tout un début de réflexion sur la notion de Kintsugi en SHS. N’étant pas expert du domaine, il se peut qu’il y ait des imprécisions. Le but de cet article est de faire un parallèle intéressant entre l’Art en lui-même, des éléments de réflexion empruntés à la technique et ma propre expérience personnelle de réparation Kintsugi.

 

Bibliographie

 

50 vues1 commentaire

1 Comment


stan.oriot
Jun 21

Ce bel article donne envie de se plonger dans la bibliographie et d’en savoir plus sur le Kintsugi ainsi que votre propre démarche de réparation. Ayant été personnellement très touché psychologiquement par l’épisode Covid-19, votre article a un grand écho en moi. Merci.

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