Il fait parler de lui partout pour des raisons thérapeutiques ou pour la perte de poids, la question du microbiote intestinal est maintenant arrivée aux oreilles des vendeurs de thés. Qu’est-ce que le thé a à voir avec le microbiote ? Comment peut-il agir dessus ? Quels sont les effets réels sur les personnes VS ceux observés en laboratoire ?
Le microbiote intestinal : entre simplicité et complexité.
Le microbiote intestinal désigne l’ensemble des micro-organismes présents dans le colon et l’intestin grêle (donc : bactéries, levures, champignons, etc). Sa composition est unique à chaque personne et sa diversité varie selon notre génétique et notre hygiène de vie.
Le microbiote est en bout de chaîne de la digestion, assurant la fermentation des éléments non digérables et aider à « couper » les molécules comme les sucres complexes, les acides gras et les fibres. Ces réactions biochimiques forment des molécules appelées métabolites qui contribuent au fonctionnement de notre métabolisme (des sucres simples, contribution à la formation de vitamines).
Le microbiote intestinal est représenté en majorité par plusieurs grands groupes de bactéries qui vont produire les effets positifs. La proportion de chaque groupe est bien précise, des ratio entre certains groupes existent (par exemple Firmicutes/Bacteroidetes). Dans certaines pathologies comme l’obésité ou les cancers intestinaux, il peut être observé une augmentation ou une diminution des ratios, les groupes ne sont plus à l’équilibre. De même, les micro-organismes pathogènes peuvent affecter la proportion des groupes, en particulier en cas d’inflammation locale chronique, suggérant que le microbiote intestinal influence directement l’immunité locale.
Ainsi, lorsque le microbiote intestinal est déséquilibré, on parle de dysbiose. Elle apparaît quand des micro-organismes pathogènes sont en surnombre, quand il y a moins de populations bénéfiques ou alors quand le ratio entre certaines populations bénéfiques n’est plus adéquat.
La place potentielle du thé dans le microbiote intestinal
Les polyphénols contenus dans le thé qui atteignent les intestins sont faiblement absorbés (environ 10%) mais seraient transformés par le microbiote intestinal en métabolites (composés phénoliques, libération de sucres complexes, etc) que le microbiote peut utiliser. Parmi les polyphénols les plus étudiés, il y a les catéchines du thé vert, les tanins du thé noir (théarubigine et théaflavine) et le thé fermenté/sombre en lui-même pour sa composition en micro-organismes. De rares études ont également constatés que la L-théanine pouvait être utilisée par le microbiote intestinal, cependant la L-théanine est produite dans un nombre réduit de thés.
Parmi les métabolites les plus intéressants produits par l’utilisation des polyphénols par le microbiote, il y a les petites chaînes d’acides gras libres (SCFA). Ces SCFA possèdent des propriétés anti-inflammatoires et modifient le fonctionnement des micro-organismes en faveur des populations bénéfiques.
Les études s’intéressent donc au thé comme prébiotique, c’est-à-dire un ensemble de nutriments (souvent fibres) et/ou des métabolites produits par les micro-organismes qui sont administrés pour booster le « bon » microbiote.
Un schéma qui résume les effets de la conversion des polyphénols en métabolites par le microbiote intestinal https://www.mdpi.com/2076-3921/11/6/1212
La paillasse de laboratoire informe …
Les essais expérimentaux visent à déterminer les principaux effets des différentes familles de thés sur la croissance des micro-organismes, leur mortalité, leur capacité à produire les bons métabolites. Les concentrations utilisées en polyphénol sont très variables, allant de taux proches de la feuille infusée (soit plusieurs centaines de µg/infusion) à des taux 1000 fois plus élevés.
Il a ainsi été montré que les principales bactéries bénéfiques soumises aux polyphénols (Akkermansia, bifidobacteria, Bacteroidetes, Christensenellaceae, Firmicutes ou Lacto) produisent des composés phénoliques et des SCFA (en particulier pour Akkermansia). Dans le cas des bactéries bénéfiques, leur croissance aurait tendance à être accrue contrairement aux bactéries pathogènes (Chlostridium, Bacillus cereus, Helicobacter pilori, Legionella penumophila, Mycrobacterium spp, Escherichia Coli) dont la croissance a tendance à être plutôt ralentie. Toutefois, des études ont montré des effets inverses avec un ralentissement des Firmicutes et une croissance de certaines souches pathogènes Chlostridium. Les hypothèses avancées seraient que le ralentissement de la croissance concernerait majoritairement des bactéries dites « Gram-positive », donc dépendant de la composition des membranes de la bactérie. L’effet dose serait également avancée dans le cas de certaines souches, notamment pour Firmicutes dont l’augmentation des doses réverserait leur croissance. La principale limite de ces études est qu’il n’est pas possible de cultiver l’ensemble des micro-organismes du microbiote intestinal (en majorité bactérie et levures), certains groupes de bactéries ne sont d’ailleurs pas viables.
Les études laboratoires chez l’animal, le plus souvent la souris (avec une génétique propice au surpoids, développement de maladies intestinales inflammatoires, diabète, obésité et cancer colorectal), visent à déterminer les effets bénéfiques des polyphénols chez l’animal malade. Les différents auteurs quantifient l’évolution des symptômes (glycémie, perte de poids, croissance tumorale, etc), les populations dans le microbiote intestinal et le dosage sanguin en métabolites. Dans la majorité des études compilées, les polyphénols sont présents sous la forme d’extraits de thés verts, de thés sombres/fermentés ou de thés noirs, ou de molécules artificiellement synthétisées. Globalement, les effets détectés seraient :
- Une tendance à la perte de poids dans le cas de souris obèse et à prédisposition
- Une diminution de la glycémie dans le cas de souris diabétiques (une étude a même observé des niveaux de glycémie et d’acides gras circulants proches de ceux obtenus avec un antidiabétiques)
- Une amélioration des symptômes intestinaux grâce à la diminution de l’inflammation dans le cas de souris atteintes de forts troubles digestifs inflammatoires
- Peu d’effets sur la croissance tumorale mais une diminution de l’inflammation locale
- La présence de SCFA dans le cas de souris diabétique, en situation inflammatoire et en surpoids.
Dans chacune des pathologies, les études ont relevé une augmentation de la diversité des populations bactériennes positives, une diminution globale de nombreux groupes pathogènes (particulièrement Chlostridium et Escherichia Coli) dans le cas de pathologies détectant des pathogènes. En revanche, les variations des ratios bactériens et la sureprésentation de quelques populations bactériennes est très différente en fonction de la pathologie. Ainsi, une souris obèse ou diabétique ne présenteraient pas les mêmes variations du microbiote alors qu’il y a effet bénéfique. D’autres études ont également montré que les réactions chimiques et les signalisations moléculaires dans les bactéries et les cellules intestinales générées pouvaient être différentes selon la pathologie et le degré d’inflammation, il est donc très difficile de standardiser « une carte de microbiote » par pathologie.
Vous voyez pourquoi c’est difficile d’avoir un aperçu standard et exhaustif des variations du microbiote intestinal … et ce n’est que pathologique ici ! https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8271705/
Un cas particulier dans les études du microbiote est le thé fermenté. Si la plupart des études ne sont intéressés qu’aux polyphénols totaux dans ces thés, quelques études ont étudié spécifiquement l’influence des micro-organismes comme le champignon Eurotium Cristatum (les résidus jaunes) qui se développe sur les galettes de thé fermenté. Actuellement, il n’y a pas de suivi clinique à ce sujet, mais les quelques études in vitro et chez la souris obèse indiqueraient une diminution de plusieurs populations bactériennes bénéfiques qui permettrait le rétablissement de ratio sain au bout de 12 semaines en présence du champignon isolé. Cet effet aurait pour conséquence une amélioration du métabolisme des lipides, une meilleure tolérance au glucose sanguin. L’utilisation d’extraits de liu Bao, un type de thé fermenté, présenterait des résultats analogues, ainsi qu’un effet anti-inflammatoire local régulant la suractivation du système immunitaire intestinale.
… La clinique rend chèvre !
Il existe aujourd’hui plusieurs suivis cliniques sur l’impact de la composition du microbiote intestinal par le thé et le suivi de l’amélioration de certains symptômes. Cependant, il y a plusieurs limites aux suivis cliniques existants :
- Le nombre de personnes incluses est très variable, allant à peine d’une dizaine à rarement une centaine
- L’état de santé des personnes est très variable (âge et IMC)
- La délivrance du thé s’est faite essentiellement sous la forme d’extraits de thés ou de molécules artificielles, dont la dose est souvent 2 à 5 fois supérieure aux doses moyennement consommées pour une consommation modérée de thé (2 à 3 tasses par jour)
- La durée des suivis sont très variables, 24 heures à 1 an.
Les effets les plus marqués et significatifs ont été observés sur les consommations d’au moins quelques semaines, supérieures à 400mg (équivalentes à plus de 2-3 tasses de thé). Les populations bactériennes qui auraient tendance à être les plus impactées seraient Bifidobacterium (augmentation), le ratio Firmicutes/Bacteroidetes (augmentation).
En revanche, il n’existe aucun suivi clinique à ce jour qui corrèlent les effets du thé et les impacts sur le microbiote … avec une amélioration des symptômes de pathologies, contrairement aux études chez l’animal ! Une seule étude a montré une augmentation du taux d’anticorps IgA secrétés dans les muqueuses chez des personnes adultes saines ayant consommées du thé et présentant des variations positives du microbiote intestinale. Même si les auteurs parlent d’une potentielle meilleure résistance aux infections aérodigestives, ce résultat reste spéculatif puisqu’ils ont choisi des patients sains ne présentant aucun signe d’infection ou d’inflammation pour cette étude.
Les études du thé en tant que prébiotique pour améliorer la qualité du microbiote intestinal sont fascinantes et sembleraient en faveur d’un effet préibiotique du thé sur le microbiote intestinal. Les résultats expérimentaux sur des colonies bactériennes et la multiplication des études chez la souris offrent de précieuses données sur les potentiels mécanismes d’action. Toutefois, ces études souffrent de sévères limitations qu’il est difficile de combler. Si des effets prébiotiques des polyphénols du thé voire des champignons du thé fermenté ont été constatés expérimentalement (équilibrage des populations bénéfiques, blocage de la croissance des pathogènes, effets multiples anti-inflammatoires/glycémiques/hypolipidiques et cholestéromiques), ils sont difficiles à standardiser. Les variations sont fortes d’une pathologie à l’autre, les effets bénéfiques sont obtenus pour différents ratios et proportions bactériennes, les doses choisies dépassent souvent la consommation modérée de thé.
A l’heure actuelle, chez l’Homme, les suivis sont encore très récents (pour la plupart moins de 5 ans). On sait que le thé pourrait moduler le microbiote intestinale mais pour des doses 2 à 5 fois plus élevées que la consommation conseillée de thé. Le bénéfice nécessiterait au moins plusieurs semaines sans pour autant savoir si cela réduit les symptômes de pathologies.
Les effets rapportés dans les médias se baseraient donc uniquement sur les données expérimentales laboratoires et non les suivis cliniques ! Il faudra encore de nombreux suivis avant d’avoir un tout début de réponse !
Bibliographie
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