Le thé fumé est un thé très typé de par l’odeur barbecue des feuilles et par la saveur atypique de la liqueur rappelant le whisky. Malheureusement pour ses amateurs, de plus en plus d’enseignes françaises bannissent certains thés fumés car jugés potentiellement cancérigènes. Si l’on s’intéresse aux études scientifiques, est-ce vraiment le cas ?
Le thé fumé est très populaire en Europe. Le thé fumé le plus connu est obtenu à partir du Lapsang Souchong, un thé noir qui pousse dans les régions montagneuses (Wuyi) du Fujian en Chine. Après oxydation, les feuilles de Lapsang souchong sont disposées dans des racs de bambou qui reposent sur une grille. En-dessous de la grille, du bois de pin est brûlé, les fumées de combustion seront absorbées par les feuilles de thé jusqu’à ce que les feuilles soient sèchent. Le goût fumé si particulier de ce type de thé provient des terpénoïdes, des composés organiques qui laissent un goût épicé en bouche et de la pyrolyse des composés d’origine.
Pourquoi certaines boutiques de thé européennes ont retiré du marché certains thés fumés ?
Notre alimentation fait l’objet d’un contrôle régulier par diverses instances de santé européenne, notamment l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments. Ces agences fournissent des recommandations de santé sur les aliments à la Commission Européenne qui ensuite rédige les normes auxquelles les aliments doivent répondre. Mais il existe aussi des agences internes à chaque pays. C’est à ce niveau que la tasse de thé fumé n’est pas passée puisque la France (et dans une certaine mesure l’Allemagne) ont largement durci les normes pour le thé fumé établie par la Commission Européenne en 2015, rendant les thés fumés sur le marché invendables.
Les coupables ? Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Plus particulièrement, quatres molécules appartenant à cette famille sont ciblées (HAP4) : le benzo(a)anthracène, le chrysène, le benzo(b)fluoranthène et le benzo(a)pyrène. Les HAP4 sont des molécules volatiles qui peuvent être issues de réactions pyrolytiques, par combustion du bois ou pendant la cuisson des aliments par exemple. Dans le cas du thé fumé, ces HAP4 se fixent à la surface des feuilles de thé lorsque le bois est brûlé.
Le problème des HAP4 est bien connu des autorités de santé car il s’agit de substances toxiques, cancérogènes. Dans une récente revue scientifique, Moorthy et ses collaborateurs ont résumé le mécanisme d’action des HAP et les conséquences sur la santé. Ces molécules sont dites lipophiles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas solubles dans l’eau mais peuvent traverser la membrane des cellules qui est composée de lipides. La cellule possède des molécules capables de dégrader les HAP : ce sont les cytochromes (CYP1A1/B1).
Cependant, la dégradation des HAP produit des molécules qui forment des adduits ayant une forte affinité pour l’ADN. Ceci peut induire une accumulation de mutations géniques dans la cellule et peut mener « à rendre » la cellule « cancéreuse ». Il existe de nombreuses études qui démontrent l’implication des HAP dans la survenue des cancers du poumon.
Que sait-on des HAP(4) dans le thé fumé ?
Plusieurs rapports d’agence de santé et d’études scientifiques sont disponibles sur le sujet. Toutes s’accordent à dire que les taux de HAP4 sont élevés dans les feuilles de thé fumé et peuvent dépasser les normes mises en vigueur. Cependant, la réalité est beaucoup plus complexe que ça.
Si l’on prend les résultats obtenus en 2013 pour la contamination en HAP des aliments sur le sol français ainsi que le rapport émit en 2018 par les agences ETC et EHIA (aujourd’hui Tea & Herbal Infusions Europe), il semblerait que les taux de HAP4 dans les feuilles de thé fumé soient 10 à 100 fois inférieurs à des produits consommés massivement les viandes cuites et que l’eau de l’infusion thé ne contiendrait que peu de PAH (5%) car les HAP sont majoritairement insolubles dans l’eau.
Si l’on ne retrouve que peu de HAP dans l’infusion, alors où est le problème ?
Le problème des normes est qu’elles s’appuient sur des seuils légaux qui prennent aussi en compte des facteurs socio-économiques et politiques. Lorsque l’on considère une substance cancérigène, il faut aussi prendre en compte le seuil basé sur le risque (données toxicologiques basées sur la consommation humaine) et le seuil basé sur la toxicologie (seuil pour lequel la molécule entraîne une réelle toxicité dans X% des cas).
Si l’on manque de recul sur les données réelles de toxicologie et de risque, les seuils légaux peuvent être sous-estimés ou surestimés puisque l’on ne sait pas exactement combien de personnes peuvent développer une tumeur voir un cancer. Récemment, Lee et ses collaborateurs ont réalisé une étude pour déterminer le risque des HAP4 dans le thé fumé en ce basant sur les seuils de risque connus. Ils sont arrivés à la conclusion que les HAP4 contenus dans les infusions de thé présentaient un risque de santé publique faible mais qu’ils manquent de données pour pouvoir affirmer s’ils sous-estiment ou surestiment le risque. Car il n’existe à ce jour pas de suivi de la consommation de thé fumé sur la survenue de cancers !
De plus, dans une étude réalisée par Pincemaille et al., les autres ont constaté que les HAP contenus dans le thé fumé diffusent plus vite dans l’eau que d’autres aliments et que la nature des molécules diffusées dans l’eau est dépendante des feuilles de thé fumé. Ceci pourrait expliquer le recadrage des pratiques de fabrication du thé fumé puisque d’autres bois que l’épicéa sont privilégiés pour la combustion (moins de libération de HAP4, etc).
Il est aussi important de préciser que d’autres HAP ne sont pas évalués dans les feuilles de thé, notamment les HAP8. Il n’est donc pas à exclure que d’autres contrôles soient nécessaire par la suite pour garantir la sécurité des thés fumés.
Par rapport aux différentes études et rapports émis par les agences de santé, le thé fumé ne présenterait pas de dangers préoccupants pour la santé. Les feuilles de thé fumé infusées contiendraient moins de Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques que vos grillades ! Cela ne veut pas dire que le danger est nul, puisque seuls une partie des HAP sont mesurées et qu’il y a un manque de recul sur les seuils de risque et toxicologiques réels.
Difficile à dire car je ne sais pas exactement à quel moment ils estiment qu'un type de molécules méritent l'attention. Je pense que le processus de vérification de nouveaux seuils sera amorcé à cause d'autres aliments plus connus comme les grillades, le pain, etc. Ça peut prendre du temps comme être très rapide (un peu comme avec les perturbateurs endocriniens des plastiques. Certains ont été bannis, d'autres contrôlés. Mais la liste et les normes évoluent selon les études et les rapports émis)
Ces fameux seuils sont donc voués à évoluer au cours du temps et des études qui vont être mises en place... Mais étant donné le manque de données, l'avenir des petites tasses fumées en France reste toujours aussi incertains et pourrait s'améliorer ? Ou bien, il est peu probable que les règle en vigueur s'atténuent ?