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Les couleurs de thé : un casse-tête moléculaire (Partie 1)

Le thé est réputé pour sa composition moléculaire bénéfique pour la santé : anti-inflammatoire, anti-oxydant, antibactérien, etc. D’autres molécules vont donner le goût si particulier à chaque couleur de thé. Que sont toutes ces molécules ? Est-ce qu’il existe des molécules propres à chaque famille de thé ?


Le thé : un cocktail moléculaire


Tout est composé de molécules, les feuilles de thé ne font pas exception. Il faut distinguer deux catégories de molécules dans les feuilles : les molécules de structures et les composés organiques emprisonnés dans la feuille.


Les molécules de structures sont principalement des sucres : la pectine (donne l’aspect « tendre » des feuilles), la cellulose (forme la paroi des cellules végétales) et l’hémicellulose (lie les fibres de celluloses entre elles). Elles vont former le squelette de la feuille, permettant de structurer les compartiments de la feuille et d’enfermer les composés organiques qui vont nous intéresser.


A l’intérieur des cellules et entre les cellules, il existe de nombreuses molécules qui permettront le fonctionnement des feuilles comme la vascularisation des feuilles ou la photosynthèse. Certaines molécules seront surtout utiles à la plante tandis que d’autres peuvent être utiles pour notre organisme.



Si l’on s’intéresse aux molécules d’intérêt thérapeutique, plus spécifiquement les polyphénols, elles ont la proportion est la plus élevée dans la feuille (plus d’un tiers) tandis que les acides aminés et les sels minéraux ne représentent même pas 10% de la feuille.


Les polyphé-quoi ?


Les polyphénols sont des molécules « couteau-suisse » pour la plante. Elles vont permettre d’aider la plante à se protéger des attaques externes (insectes, micro-organisme pathogènes, etc) ou à se développer (attraction pour la pollinisation, activation de la germination, composition dans certaines hormones végétales, etc). Les polyphénols sont classés en famille en fonction de leur structure chimique. Dans le thé, plusieurs sortes de polyphénols sont particulièrement étudiés dans la recherche sur le thé et la santé :

- Les flavonoïdes. Dans cette famille de molécules, on retrouvera les catéchines, molécules dont le pouvoir antioxydant est le plus étudié dans la recherche. Les anthocyanes, molécules donnent un pigment pourpre que l’on retrouve dans les feuilles de théiers servant à faire du thé violet. Ces molécules attirent l’attention pour leur pouvoir antioxydant.


- Les théaflavines et le théarubigines. Cette famille dérive de l’oxydation des catéchines. Ils possèdent des capacités antioxydantes et de liaison à certaines molécules. Ils donnent un goût fort au thé.


- Les acides phénoliques. Cette famille de molécules est caractérisée par une structure chimique cyclique et un potentiel antioxydant fort. L’acide gallique est un membre de cette famille.


- Les tanins ne sont pas une famille à proprement parler. Il s’agit de polyphénols dont la structure chimique respecte certains critères. L’anthocyane, les catéchines et l’acide gallique sont des tanins. Ils donnent un goût amer au thé. Contrairement aux croyances populaires, les théaflavines et les théarubigines ne sont pas des tanins à proprement parler car ils dérivent de l’oxydation d’autres polyphénols.






- Le thé vert et le thé jaune : Le thé vert et le thé jaune sont relativement proches car le processus d’oxydation des feuilles a été stoppé. Le thé jaune subit une étape de post-fermentation par rapport aux thés verts. La préservation des catéchines de l’oxydation empêche leur transformation en théaflavine et en théarubigine, ce qui pourrait expliquer qu’il s’agit des deux familles de thés ayant le plus de catéchines. La préservation de ces molécules à potentiel antioxydant fort explique l’engouement pour le thé vert dans la recherche pour la santé. Gustativement, ces molécules vont apporter amertume, astringence et la fraîcheur caractéristique à de nombreux thés verts. Des différences de compositions en catéchines, caféine et en acide gallique peuvent apparaître selon plusieurs critères : l’âge des feuilles (Thé vert 2 semaines vs 3 mois : +EGCG/-EC , -EGCG/+EC), la région de culture et la manufacture (presque 2 fois plus de caféine et +20% d’EGCG dans le Mao Jian de Guizhou que le Lu’An Guapian d’Anhui) et la torréfaction (elle semble diminuer légèrement la quantité de polyphénols totaux dans le thé vert).


- Le thé noir : Contrairement aux autres thés, le thé noir est riche en théaflavines et en théarubigines. Le thé noir est un thé dont les feuilles sont entièrement oxydées, les théaflavines et théarubigines sont formées à partir de l’oxydation des catéchines. C’est ce qui va donner le profil aromatique plus costaud du thé noir par rapport aux autres familles. La quantité de caféine dans le thé noir est variable et il peut rester des traces de catéchines dans les feuilles. Tout comme le thé vert, la composition du thé noir dépend également de la région ou de traitements externes comme la torréfaction. Les théaflavines possèderaient une action antioxydante similaire à celle des catéchines. Cependant, la quantité des théaflavines reste relativement, seules quelques perspectives thérapeutiques sont actuellement envisagées comme les troubles du métabolisme (mauvaise balance des taux de cholestérol LDL et HDL, diabète de type 2, etc), les infections dentaires, des effets anti-viraux, l’ostéoporose.


- Le thé oolong : Le thé oolong est un thé dont les feuilles ont subi une oxydation partielle, pouvant aller de 10% à plus de 50%. Malheureusement dans la littérature scientifique, il existe peu de données dressant un profil typique pour les oolongs peu oxydés ou non. Il semblerait que les quantités de certaines catéchines varient en fonction du degré d’oxydation (peu oxydé : +EGCG et ECG, plus oxydé : +GC et EGC). La durée de semi-fermentation pourrait légèrement augmenter la quantité de théaflavine et diminuer la quantité de catéchines de le Tie Guan Yin. Il est encore difficile d’évaluer les différences de compositions sur des thés aux procédés particuliers comme les thés du mont Wuyi ou les Dancong.


- Le thé blanc : Le thé blanc est un thé qui a été séché, il n’a subi qu’une faible oxydation et fermentation. Tout comme le oolong, le thé blanc n’a pas de profil fixe. Il va être très dépendant de la période de récolte. En effet, un Shou Mei d’automne et du Shou Mei compressé seraient plus riche en théaflavines mais plus pauvre en caféine et en catéchines que du thé blanc Hao Bao Yin Zhen et White Poney de printemps. Un thé blanc n’a donc pas toujours un goût frais et léger, les Shou Mei d’automne et les vieux thés blancs sont des thés ayant un caractère légèrement tannique.


- Pu’Erh cuit et cru : Le thé Pu’Erh est un thé dont les feuilles ont subi une fermentation par les champignons et les bactéries (accélérée : cuit, naturelle : cru). De tous les thés, il s’agit de celui dont la quantité en molécules d’intérêt thérapeutique soit la plus faible. En revanche, les populations bactériennes et de champignons du Pu’Erh sont étudiées pour différentes propriétés, notamment antibactériennes. Il n’existe que très peu d’études qui se sont intéressées à la composition du Pu’Erh cru et cuit mais il semblerait que le cru contienne un peu plus de flavonoïdes et de tannins que le cuit (ce qui expliquerait le côté plus végétal et astringent du cru) mais que celui-ci ait une population bactérienne plus diversifiée.


- Le cas du thé violet : Le thé violet n’est pas une famille de thé. Il s’agit de feuilles de thé issues de théiers mutants, c’est-à-dire qui produisent un polyphénol supplémentaire : l’anthocyane (pigment violet). Il s’agit d’une molécule ayant un fort potentiel antioxydant. On peut avoir par exemple du thé vert / violet comme au Kenya, ou du Pu’Erh / violet comme sur certaines espèces endémiques de Chine. Il semblerait que le thé violet/vert ou violet/noir n’ait pas plus de composés chimiques qu’un homologue de la même couleur. En revanche, l’anthocyane va être un des polyphénols les plus abondants dans les feuilles ce qui laisserait supposer un potentiel antioxydant plus fort et une différence de goût très marquée (à titre personnel je trouve que les thés violets deviennent plus vite astringent).


Les acides aminés et les sels minéraux alors ?


Pour comprendre si les acides aminés comme la leucine/l’isoleucine/la valine (bien connue des pratiquants de musculation pour limiter la destruction des fibres musculaires et aider à la fixation des protéines) et les sels minéraux comme le calcium Ca2+ sont en quantité suffisante dans le thé pour nos besoins, je me suis basé sur les recommandations formulées par l’OMS et de l’ANSES. Malheureusement, il semblerait que cela ne soit pas le cas pour un grand nombre de composés.


La leucine est un acide aminé non synthétisé par l’organisme et que l’on retrouve le plus dans les tissus de notre organisme. Les apports journaliers de leucine doivent être de 37mg/kg/j (pour un adulte de 70kg, 2590 mg/j). Dans cette étude de 2019, les auteurs ont extrait entre 0,81 et 4,2mg de leucine / gramme de feuilles pour toutes les familles de thés possibles. Pour une tasse de thé (20c, 4g), cela ferait entre 3,24 et 16,8 mg/ tasse. Pour 4 tasses de thé, les apports en leucine ne dépassent pas 2,5%. Il en est de même pour les autres acides aminés (moins de 5% des besoins totaux en acides aminés pour 4 tasses).


Le calcium est un sel minéral clé pour le fonctionnement de nos cellules et pour certains tissus comme l’os. Les rapports de l’ANSES estiment qu’il faut consommer 1000 mg de calcium par jour pour un adulte. Dans l’étude de Reto en 2007 sur la composition en sels minéraux dans l’infusion de thé vert, il a été montré que le taux de calcium n’atteignait que 3,5mg/L. Pour 4 tasses de thé, il y aurait moins de 2mg. Cela ne fait même pas 1% des apports nécessaires en calcium. Seule la source de manganèse dans le thé pourrait être un complément intéressant car elle représenterait 10 à 20% des 2,5 mg/j recommandés par l’ANSES (pour une seule tasse de 20cl et de 4g de thé noir d’Inde).


 

La composition en polyphénols et en alcaloïdes est très variée en fonction de la famille de thés (plus de catéchines pour le thé vert et le thé jaune, plus de théaflavines pour le thé noir) mais aussi en fonction de la période de récolte, de la région de culture et de la manufacture des feuilles. Tous ces paramètres sont importants à connaître pour connaître les meilleures sources en molécules, le goût que cela va apporter au thé. En revanche, le thé ne constitue pas une source complémentaire suffisante en acides aminés et en sels minéraux (sauf peut-être le manganèse).

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