Dans un contexte de pandémie liée au coronavirus, certaines personnes sont tentées de trouver des solutions alternatives pour améliorer leur résistance aux virus, voir de les détruire. Certaines personnes ont émis l’hypothèse que le coronavirus peut être détruit grâce à la chaleur générée dans la gorge par la consommation de thé chaud. Mais est-ce vraiment le cas ?
Nous faisons actuellement face à une pandémie comme cela a été le cas en 2002-2003 avec le coronavirus responsable du syndrome respiratoire aiguë sévère (SRAS) ou la grippe H1N1 en 2009. Avec la démocratisation d’internet et l’accès aux informations, nous sommes beaucoup plus conscients de notre santé et des vertus de certains produits naturels comme le thé. Cet accès aux informations se frotte malheureusement au risque de mésinformations voir aux fakes news.
Mais c’est quoi déjà un virus ?
Le statut de « virus » fait débat dans la communauté scientifique. Actuellement, ils ne sont pas considérés comme des êtres vivants. Les virus sont 200 à 1000 fois plus petits que nos cellules et ils sont décrits comme des agents infectieux sous la forme de matériel génétique encapsulé. Il y a deux composants essentiels dans le virus :
- Une ou deux molécules d’ADN ou d’ARN. L’ADN, appelé aussi code génétique, est une combinaison précise de molécules qui va formuler une information. Par exemple, une séquence particulière de molécules va dicter la couleur des cheveux. L’ARN c’est l’information de l’ADN qui a été copiée et traitée pour former nos protéines. Par exemple, l’ARN qui porte l’information des pigments des cheveux va être lue et interprétée par des complexes moléculaires pour former les pigments des cheveux.
- Une coque formée de protéines d’origine virale qu’on appelle aussi la capside. C’est elle qui va protéger le matériel génétique viral et qui va permettre l’entrée du virus dans nos cellules.
Il est important de savoir que contrairement à nos cellules qui se multiplient par elles-mêmes, les virus ne peuvent pas s’automultiplier. Pour cela, il a besoin d’un organisme hôte vivant.
Le virus, tricheur professionnel depuis la nuit des temps
Si on prend l’exemple du coronavirus, il entre dans notre organisme par les voies aériennes (présence dans l’air, postillons de personnes contaminées, etc). En temps normal, notre système immunitaire peut bloquer la progression du virus. Quand il n’y parvient pas, les virus se fixent aux récepteurs à la surface de nos cellules grâce aux protéines situées à la surface de leur capside : c’est l’adsorption. La cellule reconnaît les protéines de la capside virale : le virus rentre dans la cellule. La capside virale va se détruire à l’intérieur de la cellule ce qui libère le matériel génétique viral. Il pénètre ensuite le noyau de la cellule, élément qui contient l’ADN humain. L’ADN/ARN viral va utiliser notre ADN et les protéines qui permettent la copie de notre ADN : c'est la multiplication du virus ou réplication virale.
Quand le virus est répliqué, il sort du noyau et va utiliser les protéines qui permettent la lecture de notre ARN humain pour reproduire les protéines de la capside virale. Les nouveaux virus vont sortir de la cellule pour contaminer nos autres cellules (1)
Les conséquences de la virulence sont multiples : destruction de la cellule par le système immunitaire, problème de multiplication de notre ADN (cellules anormales formées, souvent non viables, parfois causes de cancer). A terme, cela peut avoir des conséquences dramatiques (exemple hépatite B et destruction du foie)
On arrête comment un virus ?
Le moyen le plus radical c’est le système immunitaire qui va détruire directement le virus ou les cellules infectées. L’organisme a encore d’autres moyens de défense : la fièvre. En effet, les protéines qui permettent la multiplication de l’ADN viral sont assez sensibles à la chaleur, la température corporelle va augmenter pour ralentir la multiplication du virus (2). La hausse de la température, même de 2 degrés, est mauvaise pour le bon fonctionnement de nos cellules (d’où la prise d’anti-inflammatoire et de médicaments permettant la baisse de la fièvre).
C’est de là que vient l’hypothèse que boire du thé chaud permettrait de tuer le coronavirus avant la propagation vers les poumons. Or l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié un communiqué (3) en précisant que le virus meurt à plus de 70°C en condition de cuisson de cuisine. Si l’on creuse plus loin, on sait que les virus de la famille des coronavirus meurent en 15 minutes à une température de 56°C (4)
Le thé n’est jamais consommé bouillant (entre 60 et 70°C en général), passe dans un organisme à 37°C (donc perte de chaleur) et passe directement dans l’estomac et non dans les poumons. On ne valide ni la température, ni la durée d’exposition à la chaleur du virus, c’est donc une fake news.
La réponse se situe au cœur de la machinerie virale
J’avais commencé à en parler dans mon article sur le thé et le système immunitaire, il semble que la consommation quotidienne de thé vert et les gargarismes au thé vert en Chine et surtout au Japon diminuent le risque de contraction de la grippe. Sciences thé a creusé la question. Une revue publiée en 2018 (5) a récapitulé les données de la littérature sur les études expérimentales et cliniques du thé sur les virus.
Polyphénols, catéchines, EGCG : encore le thé vert
Les études expérimentales montrent que l’accumulation de catéchines dans les cellules empêche non seulement la fixation du virus aux cellules mais aussi la multiplication du matériel génétique viral. En effet, la revue de 2018 s’est basée sur un travail réalisé en 2013 (6) qui a compilé une vingtaine de publications sur les effets in vitro des catéchines sur différents virus (grippe, entérovirus, VIH, adénovirus, Epstein-Barr, Herpes, hépatite).
Un des polyphénols/catéchines les plus puissants, l’EGCG, semble agir directement sur la capside virale en s’attachant aux protéines virales qui se fixent aux récepteurs à la surface de nos cellules. Les extraits totaux de thé seraient également capables de diminuer la proportion de protéines virales et l’intégrité générale du virus.
De plus, il semblerait que les polyphénols du thé soient capables de limiter voire d’empêcher la multiplication du matériel génétique viral. Les catéchines contenues dans le thé vert bloqueraient l’intégrase, une molécule virale qui permet l’utilisation de l’ADN humain et des protéines permettant la multiplication de l’ADN/ARN viral. D’autres molécules d’origines virales permettant la réplication virale semblent touchées comme la reverse transcriptase. En 2011, une étude japonaise a démontré que la multiplication de l’ARN du VIH était beaucoup plus limitée en associant l’EGCG du thé vert et le médicament le plus utilisé contre le VIH, l’AZT (7)
A l’intérieur de la cellule, le potentiel antioxydant des polyphénols serait également protecteur pour les cellules. En effet, il semble que la pénétration du virus et sa multiplication dans la cellule génère un stress oxydant qui est toxique pour la cellule (8). Ceci protégerait mieux les cellules contre les dégâts causés par la réplication virale.
Mais il n’y a pas que le thé vert dans la vie !
Les catéchines du thé vert ne sont pas les seuls polyphénols ayant une action sur les virus. Il semblerait que les théaflavines, polyphénols retrouvés dans le thé noir, bloqueraient aussi l’entrée du virus dans le cas de l’hépatite C (9) et la multiplication de l’ARN viral de la souche de coronavirus retrouvée lors de l’épidémie de SRAS 2002-2003 (10)
On pourrait très bien imaginer des recherches sur les anthocyanes du thé violet et les polyphénols du thé oolong, du Pu’Erh cru et cuit et du thé blanc.
Virus et thé, combo gagnant ?
Les études sur la consommation quotidienne de thé et les données expérimentales sont très intéressantes et laissent penser que le thé serait plutôt protecteur contre les virus. Cependant, il faut bien avoir en tête que les effets du thé varient selon le virus étudié. De plus, ce sont souvent les extraits de thé qui sont utilisés sur les cellules, et parfois à des doses 10 à 1000 fois supérieures aux doses réelles retrouvées dans l’organisme. Nous ne sommes également pas en mesure de savoir quel mode d’infusion du thé serait le plus efficace pour absorber le plus de polyphénols possibles (Gong Fu Cha ou occidentale)
Toutes ces pistes sont très intéressantes à creuser, que ce soit pour les virus ou tout autre type de pathologie.
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